Une énigme archéologique
Dans la richesse iconographique des périodes prédynastiques (avant la 1re dynastie, vers 3150 av. J.-C.), trois colosses en pierre ne cessent d’intriguer, d’interroger les chercheurs depuis un siècle. Ce sont les colosses du dieu Min découverts dans l’antique cité de Coptos, au nord de Louxor. Sont-ce des idoles ? Sont-ce des dieux ? Comment comprendre les étranges dessins gravés sur la pierre ? Faut-il les comparer aux fameux « hommes barbus » dont la fonction reste à déterminer ?
Par François Tonic (texte & photos), paru dans pharaon magazine n°2
L’antique Coptos (aujourd’hui la moderne Qift) est située au nord de Louxor. Ville marchande, elle contrôlait les routes en direction de la mer Rouge, en passant par le Wadi Hammamat, riche en or et en carrière de grauwacke, une pierre de couleur verte d’une grande finesse de grain. Ville religieuse, le dieu Min en était originaire. Min est une divinité très importante. Il est ithyphallique, c’est-à-dire avec un sexe en érection.
Datation des colosses
Au nombre de trois, les statues furent découvertes dans le temple ptolémaïque de Coptos en 1894 lors des fouilles menées par l’Anglais Petrie. Ils sont malheureusement fragmentaires : les jambes pour l’un, une partie du buste jusqu’aux genoux pour les deux autres. Les vestiges d’une tête proviennent sans doute d’une des statues. La hauteur des fragments varie de 1,55 à 1,77 mètre. Il faut imaginer des colosses de plus de 4 mètres. Deux s’admirent aujourd’hui au Ashmolean Museum d’Oxford (près de Londres) et un au musée égyptien du Caire. Deux questions se posent : la datation de ces sculptures et la forme particulière des statues.
possible reconstitution d'un des colosses
Narmer étant inscrit sur un des colosses, ces statues datent au plus tard du pharaon Narmer (dernier souverain de la dynastie 0, premier roi de la 1re dynastie, vers 3150-3100 av. J.-C.). Les coquillages et animaux gravés sur les colosses rattachent chronologiquement les objets à la période prédynastique, dynastie 0, voire encore plus ancien, mais sans doute pas au règne de Narmer. Les chercheurs évoquent souvent les périodes Nagada II et Nagada III (environ 3600-3150 av. J.-C.).
emplacement des colosses à Coptos
Récemment, Lucas Baqué-Manzano évoquait une chronologie entre 3500-3150 av. J.-C. pour les trois statues, qui n’auraient pas été réalisées en même temps. David Wengrow évoque une chronologie aux alentours de 3300 av. J.-C., soit au début de la dynastie 0, car d’autres évoquent des dates au-delà de 3600 av. J.-C. Cependant, il est très difficile de donner une chronologie plus précise.
Est-ce un dieu, un proto-dieu, une simple idole ?
Première statue colossale jamais retrouvée en Égypte, cette œuvre prenant la forme d’un homme (barbu) avec un sexe en érection pose la question suivante : que représente-t-il ?
À cette simple question, nous ne pouvons pas y répondre clairement. Avant la création des dieux qui possèdent une mythologie, une conception intellectuelle derrière le nom, son apparence, les populations vénéraient ou priaient des idoles diverses et variées, sans qu’il y ait nécessité d’un nom ou de légendes. Les colosses de Coptos sont-ils des idoles, des dieux (ou un dieu) ou ce que l’on pourrait appeler un proto-dieu, c’est-à-dire une entité qui n’est plus une idole mais qui n’est pas encore un dieu complet ?
Nous sommes en présence d’une entité de fertilité comme le sera le dieu Min dès la fin de la dynastie 0 et au début de la 1re dynastie. Et sa présence à Coptos, dans un des temples liés à Min (Coptos, rappelons-le, lieu d’origine de Min) n’est pas un hasard et montre que très tôt, une entité de fertilité qui deviendra Min existait et se trouvait dans un temple. Sommes-nous en présence d’un Min archaïque sans que son nom apparaisse ? Impossible de le savoir. Cependant, pour plusieurs spécialistes de la période, ces colosses s’éloignent du dieu Min tout d’abord par leur aspect très stylisé, leur nudité (Min n’est jamais nu) et par l’absence de coiffe et tout particulièrement des hautes plumes.
On fait parfois un rapprochement avec les hommes barbus. Il s’agit de statuettes relativement petites représentant un homme barbu parfois très stylisé dont la fonction reste débattue, mais qui ne serait pas une divinité, peut-être une idole. Une autre hypothèse voudrait que l’homme barbu soit lié aux morts, aux conceptions funéraires. D’autre part, l’homme barbu serait tout de même plus ancien que nos colosses…
Peut-on faire un parallèle entre les colosses et l’énigmatique statuette d’un homme barbu surnommé l’Homme de MacGregor (MacGregor man), du nom de son acheteur. Statuette unique en son genre, son authenticité est parfois remise en cause et la datation de l’objet n’a jamais été clairement établie, peut-être vers 3300-3250 av. J.-C. Possible mais rien de probant.
Des symboles gravés énigmatiques… ou presque… ou totalement
Un autre élément énigmatique concerne la présence de formes gravées au niveau des jambes sur les trois colosses. Petrie, lors de la découverte, avait observé ces traces sur deux des trois statues, en 1896. Dans une nouvelle édition de son rapport de fouille (Koptos, 1896), il mentionne des signes gravés sur le 3e colosse. Et là encore, personne n’est totalement d’accord sur la forme et l’identification même si aujourd’hui, un consensus existe sur la plupart des gravures. Malgré tout, plusieurs signes provoquent la polémique et opposent les chercheurs. Ainsi, sur le colosse dit Coptos 1, on observe une tête animale, certains y voient la tête d’un Oryx, d’un bovidé, voire d’une gazelle. Le colosse dit Coptos 3 (celui du musée du Caire) pose lui aussi de sérieux doutes sur l’identification de plusieurs signes…
Les chercheurs ont identifié des coquilles de pteroceras, un harpon, de bélemnites, de frondes (ou s’agit-il de poissons-scies ?), un lion, un éléphant, une autruche, un taureau. Surtout, des égyptologues pensent trouver la trace du nom (incomplet) du roi Narmer. Cette interprétation est vivement débattue. Sur la présence du roi Narmer sur les colosses, se pose une question importante : pourquoi son nom n’est pas placé dans un serekh, un rectangle composé de deux parties : en haut, le nom, en bas, une façade de palais. Or, depuis la seconde moitié de la dynastie 0, le nom du roi se place dans un serekh. Pour nos colosses, aucun serekh pour le supposé nom de Narmer…
Pour Gunther Dreyer, qui fouille les tombes royales de la dynastie 0 et de la 1re et 2e dynasties à Abydos depuis 20 ans, il s’agirait de listes royales, c’est-à-dire d’une liste des rois de la dynastie 0, des souverains régnants avant Narmer. On aurait alors un roi Pteroceras, Élephant, Taureau, Lion, etc. À cette époque, les « chefs » s’identifient par des animaux, des coquillages. Cependant, nous ne retrouvons pas d’indication d’un roi Scorpion (en l’absence de toute gravure d’un scorpion).
Pour Dreyer, les colosses de Coptos pourraient être datés après le règne du roi Scorpion, mais avant celui de Narmer, soit entre 3250 et 3150 av. J.-C.… Ou alors faut-il les dater d’avant le règne du roi Scorpion, au-delà de 3300 av. J.-C. ? Malheureusement, nous ne pouvons dire si les signes gravés le furent lors de la création des colosses ou quelques décennies ou siècles après. Personne ne peut trancher cette question.
Au-delà de cette polémique, liste royale ou non, présence du nom de Narmer ou non, peut-on donner un sens aux signes gravés ? Est-on en présence de signes hiéroglyphiques archaïques comme Dreyer l’a découvert dans la tombe U-j du roi Scorpion à Abydos ? Peut-on y discerner (pour la présence supposée des poissons-scies) le futur emblème du dieu Min ?
Bibliographie
Alain Anselin, « Notes pour une lecture des inscriptions des colosses de Min de Coptos », in Cahiers caribéens d’Egyptologie n°2, 2001, p. 115-136.
Lucas Baqué-Manzano, « Further arguments on the Coptos colossi », in BIFAO, 102, 2002, p. 17-61.
Collectif, « The colossi from the early shrine at Coptos in Egypt », in Cambridge Archaeology Journal, 2000, p. 211-242.
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