La barque d’albâtre de Toutankhamon

Le trésor de Toutankhamon émerveille toujours le public par sa richesse, son or, sa diversité. Plus de 80 ans après sa découverte, ce mobilier funéraire ne manque pas d’intriguer les spécialistes. Une des compositions les plus originales est celle de la barque d’albâtre, qui révèle une iconographie complexe et une interprétation ressemblant à un rébus.

Par François Tonic, paru dans toutankhamon magazine.

En 1999, les éditions Peeters sortaient un ouvrage s’intitulant : La naine et le bouquetin ou l’énigme de la barque en albâtre de Toutankhamon. L’ouvrage est un « témoignage » posthume de l’égyptologue Jan Quaegebeur. Celui-ci n’ayant pas eu le temps de publier l’ouvrage, l’égyptologue Nadine Cherpion reprit les notes et l’exposé réalisés par Jan Quaegebeur dans diverses villes pour aboutir à un ouvrage étonnant sur cet objet, non moins étonnant, de la tombe de Toutankhamon.

Une surprenante composition

Cette barque d’albâtre se compose de plusieurs éléments, une véritable pièce montée. La barque repose sur une sorte de bassin marqué au nom du roi Toutankhamon et de sa reine, que l’on pouvait remplir d’eau, de parfum ou de fleurs (c’est selon les hypothèses). La barque possède à la proue comme à la poupe une tête de bouquetin avec des cornes. À l’avant, une jeune femme accroupie tient une fleur de lotus dans sa main gauche, contre sa poitrine. À l’arrière se tient une naine nue, debout. Elle avait entre ses mains un long bâton pour manœuvrer la barque. Au milieu de celle-ci, sous un élégant dais soutenu par quatre fines colonnes, se trouve la cuve vide d’un sarcophage ( ?). Notons que la barque repose sur une « île » que l’on distingue à peine. La décoration ornant la cuve sous le dais et le socle est florale. Concernant le socle, sa forme peut rappeler celle d’un pylône de temple égyptien même si on ne voit pas ici l’inclinaison que l’on observe dans un temple, ni le tore situé aux angles ; par contre, il y a la corniche.

L’identité des différents personnages et du bouquetin

Jan Quaegebeur décrit avec justesse et intelligence ce que représentent le bouquetin et la naine. Surtout, l’égyptologue démontre comment ces deux éléments fonctionnent ensemble. N’oublions pas qu’en Égypte ancienne, il faut savoir lire et interpréter le symbole ainsi que les « messages cachés ». La barque de Toutankhamon ne déroge pas à la règle.

Le bouquetin

L’animal représenté à la proue et à la poupe est un bouquetin, identifié comme un bouquetin syrien (1). Si cette espèce syrienne n’existe pas en Égypte, dans la vallée du Nil, il existe cependant une autre variété, le bouquetin nubien.

Le bouquetin est souvent présent dans l’art égyptien que ce soit sur les reliefs ou les objets. Il était considéré comme un animal du désert, avec l’oryx et la gazette, dixit J. Quaegebeur. L’adulte montre des cornes puissantes et épaisses. Notons que le mâle possède une petite barbiche. Il existe différentes barques possédant des proues et/ou des poupes à tête d’animal. Le plus bel exemple concerne un relief de la chapelle d’Hathor d’Hatshepsout à Deir el-Bahari. On peut alors relier l’animal représenté à une divinité. Comme le souligne J. Quaegebeur, le bouquetin a-t-il un lien avec Hathor ? Il semble que oui, mais est-ce le cas avec cette barque ?

Il faut rappeler ici que la corne de bouquetin possède une notion de renouvellement, de renaissance, de régénération de la vie. Détail intéressant à noter, il existe de nombreux objets de toilette utilisant le bouquetin comme iconographie ou pour la forme. Ces objets servaient à rajeunir la personne, la rendre plus belle. La notion de rajeunissement, de jeunesse peut-elle ici être rapprochée de la jeune fille représentée à l’avant de la barque tenant une fleur de lotus ? Il n’est pas impossible d’y voir un tel symbole. La naine constitue un autre symbole de la renaissance, du rajeunissement. Elle se retrouve parfois sur des objets cosmétiques.

La naine et Bès

Dans sa démonstration, J. Quaegebeur montre les liens entre Bès et le bouquetin (ou la gazelle, mais ces deux animaux peuvent s’interchanger). Sur certains objets de l’époque tardive (après le Nouvel Empire), on rencontre parfois Bès avec des bouquetins. Bès est considéré comme un maître des animaux sauvages (le bouquetin est, rappelons-le, un animal du désert, donc sauvage). Pour J. Quaegebeur, il existe un lien indiscutable entre le bouquetin et la naine, lien qui passe par Bès. L’égyptologue a pu découvrir au musée de Bruxelles une statuette surprenante : une naine sur un bouquetin, portant Bès.

Mais alors s’il existe un lien entre Bès, la naine et le bouquetin, où se trouve Bès dans la barque de Toutankhamon ? Il n’y en a tout simplement pas ! C’est là que l’enquête de J. Quaegebeur devient palpitante. L’égyptologue découvre alors que le lion dressé sur ses pattes arrières et tirant la langue représenterait bel et bien Bès ! Mais comment lier ce lion à la barque ?

L’égyptologue, grâce aux photographies des fouilles, met en évidence que les deux objets se trouvaient côte à côte lorsque Carter fouilla l’annexe de la tombe de Toutankhamon ! Bref, les deux objets forment un tout !

Pour la renaissance ?

L’ensemble des deux constituerait donc un objet lié à la renaissance, la régénération, la fécondité (notamment à cause du lien entre le bouquetin et Hathor). J. Quaegebeur y voit un cadeau de Nouvel An et/ou de mariage. Dans sa postface, Nadine Cherpion fournit quelques autres pistes complémentaires. L’égyptologue rejoint l’idée que la corne de bouquetin possède une notion de régénération, de renouvellement de la vie. La notion de reproduction, de fécondité serait aussi à considérer fortement (à cause de la sexualité des ibex). Surtout, l’égyptologue note que le bouquetin de l’arrière conserve une boucle d’oreille en forme de grenade. La grenade est un autre symbole de fécondité (à cause de la multitude de grains qu’elle contient). Cela devrait, selon N. Cherpion, renforcer le côté génésique de l’animal (2).

Une princesse ou une allégorie ?

La jeune fille posée sur le devant de la barque peut suggérer une princesse royale, nue. Cependant, J. Quaegebeur ne se montre pas très attiré par cette interprétation qui pourrait être une référence à la jeunesse, la fécondité, la sexualité comme le pense N. Cherpion.

Et le dais ?

N’oublions pas un élément passé jusqu’à présent sous silence, le dais et sa symbolique. N. Cherpion note que le dais est supporté par des colonnes dont l’architecture n’existe pas dans la réalité égyptienne. Ces colonnes possèdent un double chapiteau (thème du papyrus et du lotus). Dans cette représentation, il faudrait y voir un symbole de renaissance du défunt (le dais sous lequel siège Osiris possède ce type de colonne à multiples chapiteaux). De plus, N. Cherpion met en évidence les possibles rôle et signification de l’île supportant la barque, laquelle pourrait tout simplement représenter la butte primordiale, l’origine du monde, et donc une référence à la re-naissance du souverain défunt.

Mais alors, si au lieu d’un simple cadeau, il fallait considérer cet objet comme un moyen de ramener à la vie le roi défunt ?

Cet objet monumental par sa taille (70 cm de long), et sa qualité exceptionnelle, se révèle d’une complexité d’interprétation insoupçonnable, lourd de multiples symboles. Une étude complémentaire devrait pouvoir confirmer les hypothèses émises par J. Quaegebeur, voire en trouver de nouvelles.

Bibliographie

J. Quaegebeur, La naine et le bouquetin, Peeters, 1999.

/// Notes ///

(1) Parfois nommé ibex syrien. L’appellation latine est Capra Aegagrus.

(2) La tête de bouquetin de l’arrière ne possède pas de barbiche comme à l’avant. L’a-t-elle perdue ou s’agit-il ici d’une femelle ? L’étude ne le précise pas.